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Tordu
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5 novembre 2008

Le Successeur - part 2

... Au moment où j’introduisis ma tête, plus aucun son ne me parvint et mes yeux retrouvèrent le noir le plus complet de la montagne. Avais-je seulement rêvé ? Le trou était bien là. Qu’est-ce qui pouvait se terrer dans ces profondeurs ? Mon estomac se noua. Je devais contempler, de fait sans les voir, les volumes du bastion dont les grilles interdisaient plus haut l’entrée. Voilà qui fit bondir mon cœur. Mais c'est alors que deux gros yeux lumineux apparurent, dans un cri effroyable, à quelques centimètres de mon visage. Je crois n’avoir jamais ressenti frousse aussi démente de toute mon existence. Comme saisit par la peau du dos je me projetai en arrière, assez loin pour sombrer la tête la première dans le vide et y dévaler de tout mon long. Je vis ma fin. Mais mon pied se coinça dans une racine. Ma tête hocha au rythme effréné de mes tempes en ébullition et je restai un bref instant pétrifié de terreur sans rien pouvoir faire d’autre que de me remémorer cent fois en une boucle infernale ce que je venais de voir et d’entendre. J’étais tellement stupéfait que l’idée de sombrer réellement traversa mon esprit, idée à laquelle je répondis sans y prendre garde « pourquoi pas ? » comme d’un achèvement. Au moment de relever la tête, une voix fit dans mon dos « en voilà des manières de s’introduire chez les gens ». C’est là que je me rendis compte qu’un tronc rémanent de lueurs s'extirpait du roc et qu’en fait de racines seule une main griffue retenait ma chute. Qu’une grenouille m’adressât la parole, passe encore. Mais un fantôme ?! Encore faut il y croire et mon esprit qui n’en possédait que de vagues contes, où ces derniers se traînaient tout de blanc vêtu affublés d’un rutilant boulet enchaîné au pied, fut à cet instant totalement dépassé, et je m’évanouis. Lorsque je repris conscience, j’entendis tout d’abord une voix puis des pas qui martelaient incessants le sol de jurons métalliques. Tout autour de moi, un halo embrassait une série de tombes et le tintamarre sautait de l’une à l’autre. Le fantôme m'aurait traîné jusque dans son repère. Ma tête me faisait un mal de chien. Sans doute est-ce à ce moment que j’aurais dû prendre mes jambes à mon cou, mais à moitié étourdi dans une obscurité aussi sauvage où donc se réfugier ? Et puis que représentait un mur pour un fantôme ? Il apparut à nouveau d’une tombe, s’élança devant moi, lisant tantôt un manuscrit de fumée ou buvant allègrement au goulot d’une bouteille couleur argile. Son comportement était pour le moins étrange. Il dansa, fit quelques pas boiteux autour d’une autre pierre tombale, et puis il s’extasia de rire avant de marmonner toutes sortes de formules en ancien Germanique. Enfin, il redevint hargneux ; il se pencha sur une tombe et y empoigna un mort qu’il releva de ses membres déchirés d’une pâleur laiteuse. « Je vois que tu me vois mais tu ne l’avoues pas, allons donc, du courage ! » s’écria-t-il. Le mort ne disait rien, mais on voyait bien qu’il était mal à l’aise. « On ne pend pas Juste de Barandoue ! » fit-il tonitruant. On croit ce que l’on veut, dans ce genre de situation, il nous est parfois permis de réagir au delà de l’entendement. Juste de Barandoue ? Ce nom m’était bien trop familier pour me laisser interdit « le ménestrel ? » réussissais-je à bredouiller au milieu de la cacophonie. Le fantôme parut surpris, se tut, prit sa tête entre ses mains, s’assit en face de moi et m’interrogea. Parfaitement, Juste de Barandoue. Connaissez-vous mon nom ? Les confessions d’une dernière bataille … commençais-je d’un ton interrogateur. Vous les avez lues ? Mais alors le vieil homme disait vrai. Ce qui passera le clair de lune se changera en onces d’éternité m’avait-il assuré. Mon récit aura traversé tous ces siècles ? Et c’est ainsi que nous nous entretînmes. Ce que j’avais lu semblait bien fade tout à coup. Il se levait et parcourait ardemment le bastion, s’encombrant de grands gestes, mimant chaque détail, riant, grinçant des dents, reproduisant en lumière la vie des hommes et des femmes de son temps. Sa manière de conter m’était plus exquise qu’un vin liquoreux bien fait. Le temps à vrai dire dut passer sans qu’il me souvienne l’avoir une seule fois compté. Ses emportements de maître conteur captivèrent mon esprit au point que j’en oubliai ce qu’était la faim, la soif, le sommeil, l’humain. Et plus je l’écoutais, plus j’appris de vérités sur ce temps dont nous étions issus, nous les Hommes de l’époque moderne. Je devinais dans son propos les réelles fondations de mon époque et je sus ce que nos manières avaient perdu à trop se lancer à la dérive, aveugles d’avenirs. La narration qu’il fit de la fin des combats me serra le cœur et les maux qu’il éprouvait depuis si longtemps pesaient chaque jour plus sur cet enchantement qui le condamnait à errer tant que personne ne rendrait grâce à son âme en lui creusant une tombe. Notre échange de cette nuit nous fit amis et la bénédiction de sa présence me réchauffa tant que je convins seul de lui offrir cette sépulture qu’il espérait depuis si longtemps. A chaque poignée de terre que j’arrachais du sol, il tentait de me dissuader, m’expliquant que cela n’était nullement mon devoir et qu’il saurait encore attendre, au moins l’aube de mes derniers jours s’il le fallait. Je ne retins aucun de ses arguments. Aussi, le moment vint qu’il s’allonge à son tour. C’est alors qu’il me demanda de lire la fin du récit qui devait selon lui le libérer du charme et lui offrir les portes de l’au-delà. Je lus longuement la vingtaine de feuillets qui se terminait ainsi : « … Et lorsque les seigneurs de la terre s’endormiront pour la dernière fois, le gardien pourra alors … » C’étaient là les derniers mots dont je disposais. Mais à peine les avais-je prononcés que je vis le corps de mon ami s’illuminer plus encore avant de disparaître en un tas de poussière. De cette poussière, une sphère de lumière se détacha. Ce minuscule écrin était-il son âme ? Il disparut en tout cas au delà des murs et c’est là que je me dis qu’il était dommage de ne point connaître la fin de la phrase. « Mais si, tu connais la fin », fit alors lointaine la voix du fantôme dont il ne restait maintenant qu’une pincée de cendres. Cette voix était d’ores et déjà en route, mais je perçus nettement ce qu’elle me dit « … Et lorsque les seigneurs de la terre s’endormiront pour la dernière fois, le gardien pourra alors céder sa place ». Et c’est là que tout mon corps se mit à luire à son tour et depuis je hante ce bastion qui n’est plus, sur ce mont oublié. Les siècles se sont déroulés, tant et tant que la terre n’est même plus habitée. Loin de son système solaire d’antan, elle vogue, solitaire, au gré des vents interstellaires. Et moi, comme je l’avais si souvent souhaité, je puis autant de fois que cela me chante m’y prélasser ou m’envoler, dans l’attente d’un successeur. FIN
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